Qu’est-ce que la gériatrie ? Réponse d’une gériatre

La gériatrie provient du grec gerôn qui signifie vieillard.

Elle désigne la médecine de la personne âgée et se consacre aux maladies dues au vieillissement. Les objectifs de cette spécialité médicale, dans laquelle la prise en charge du patient est globale, sont de maintenir ou au besoin de restaurer l’autonomie fonctionnelle des personnes âgées.

Malheureusement, malgré son intérêt évident, la population de gériatres croit beaucoup plus lentement que la population de personnes âgées. En outre, la plupart des gériatres exercent actuellement en EHPAD.

Les gériatres en France chiffres

 

Pourquoi la gériatrie suscite-t-elle si peu de vocations ?

Quels sont les freins ?

Qu’est-ce qu’un gériatre peut apporter à une personne âgée ?

Nous avons posé toutes ces questions, et bien d’autres, au docteur Nicole Jacquin-Mourain, gériatre à la retraite, ancienne présidente de l’association des gériatres libéraux et fondatrice de Anggel’dom, une plateforme d’assistance au maintien à domicile.

Bonjour docteur Jacquin-Mourain, pour commencer, pouvez-vous nous raconter votre parcours en tant que médecin gériatre ?


Dr Jacquin-Mourain : J’ai terminé mes études de médecine en 1979 et intégré un service de gériatrie et cela m’a plu. J’ai été praticien hospitalier pendant vingt cinq ans jusqu’à ce que j’ai fait le tour du problème. Rien n’avançait. Au départ on avait 105 lits sur trois étages et quand j’ai démissionné, on avait une infirmière l’après-midi pour les trois étages. C’est plus de la garderie que de la médecine. Ce n’est en tout cas pas la médecine pour personnes âgées comme je la concevais. En plus, chaque projet que j’essayais de monter pour faire bouger les choses mettait un a deux ans à obtenir une réponse négative. J’ai demandé à faire un DU réservé aux praticiens hospitaliers, qui s’appelle l’EPAM. C’est un DU en partenariat avec l’Ecole des Mines de Paris. Ils n’ont pas voulu me le payer considérant que ça ne servait à rien pour l’hôpital. Je me suis payé cette formation toute seul et j’ai donné ma démission.

Après je me suis occupé de maisons de retraite aussi bien privées que publiques et je n’ai pas supporté.

Mon éthique était en contradiction avec le fonctionnement de ces établissements. Je suis donc partie m’installer en tant que gériatre libéral et là, ça a été génial. J’ai eu une patientèle importante rapidement parce que les gens sont contents quand on s’occupe d’eux, qu’on les écoute et qu’on les visite à domicile. Le revers de la médaille c’est que je travaillais plus de douze heures par jour avec 70 % de visites à domicile à la fin. J’ai fini par ne plus tenir la distance : une consultation gériatrique, c’est pas « cinq minutes on prend la tension pas déshabillé » . Il faut écouter la famille, les aidants, le patient. Il faut l’examiner et après rédiger l’ordonnance en lui expliquant tout ce qu’on fait. C’est donc des consultations de minimum une heure au cabinet et bien plus à domicile si l’on compte le temps de trajet et le stationnement, de plus en plus difficile à Paris. Lorsque j’ai pris ma retraite, j’ai poursuivi une réflexion que nous avions amorcée au sein de l’association nationale des gériatres et gérontologues (ANGGEL) dont j’étais présidente. Nous avions beaucoup réfléchi à la question du maintien à domicile. On voyait bien qu’il y avait un problème. Les gens ne veulent pas aller en EHPAD et ils ont raison. Moi qui y ai travaillé, je ne peux pas les y inciter. Mais il n’y a pas toujours de la famille pour assumer et quand la famille n’est pas présente, on ne peut pas faire grand chose, même si certains aidants professionnels sont vraiment bien, le maintien à domicile a un coût important. Cela dit, le coût sera toujours moindre par rapport à une admission dans un EHPAD parisien dont le coût par mois est supérieur à 4000 euros.

Avez vous l’impression que la gériatrie intéresse aujourd’hui de jeunes médecins ?

La gériatrie existe en France depuis 2004 grâce à l’Europe et à la canicule de 2003. Sauf que l’on n’a toujours pas de nomenclature. On a une spécialité, la spécialité 34 mais aucune nomenclature codifiée. Ce qui est très pervers. Pourquoi on n’en a pas, parce que les médecins généralistes voient l’arrivée d’une nouvelle spécialité d’un très mauvais oeil, ce qui est stupide car nos consultations sont beaucoup plus longues. Ce n’est pas compatible avec la médecine gériatrique. La pédiatrie ils ont déjà pas aimé et la gériatrie ils n’en ont pas voulu et les professeurs de gériatrie veulent garder les gériatres à l’hôpital. Pourtant, il y a de jeunes médecins qui cherchent à s’installer en tant que gériatre. Quand j’étais présidente dAnggel, je recevais plusieurs demandes par semaine mais comme il n’y a pas de nomenclature, à moins d’avoir un autre poste en hôpital ou en maison de retraite, ils ne peuvent pas en vivre. Je leurs dit non à contrecoeur. Je n’ai pas réussi à obtenir une nomenclature.

Pensez vous que la gériatrie mériterait une meilleure exposition ?

Oui, il faudrait que cette spécialité soit mieux reconnue et puisse être exercée en libéral, au même titre que la neurologie ou la psychiatrie. Il faudrait une nomenclature adaptée avec des actes longs et chronophage.

Quels sont les freins au développement de la gériatrie libérale ?

Le plus important c’est l’absence de nomenclature car cela ne permet pas à un gériatre libéral de gagner suffisamment d’argent pour vivre de sa pratique. Les horaires sont également compliqués, il y a beaucoup d’interventions d’urgence. La nécessité de faire surtout des visites est également un frein car la visite prend beaucoup plus de temps, y compris des temps de trajets et des problèmes liés au stationnement en ville. Enfin, la gériatrie est une profession très féminisée qui n’est pas compatible avec les contraintes des femmes, notamment celles qui ont des enfants.

A partir de quel âge une personne âgée devrait-elle consulter un gériatre ?

Bonne question. A partir de quel âge on est vieux ? Un ado vous dirait à 35 ans, Balzac aussi. L’OMS dit 65 ans et la Sécurité sociale dit 75 ans. Normalement, les gériatres ne devraient soigner que des plus de 75 ans. On squeeze toute la partie de prévention qui est fondamentale. Quand j’étais en activité je prenais les gens à partir de 60 ans. Pour l’instant, ils ne m’ont jamais embêtée avec ça. Il y a des gens qui étaient prêts à payer plus cher pour voir un gériatre. Théoriquement, on doit passer par son médecin traitant. les gens venaient directement et demandaient à ce qu’on soit leur médecin traitant. Moi je n’ai aucun problème avec ça car les rares médecins traitants qui m’en envoyaient, ce n’était que des clients pas gérables qu’on ne pouvait pas maintenir à domicile à moins de les assommer de calmants. Il y a des gens qui ne veulent pas consulter de gériatre alors qu’ils devraient parce qu’ils s’imaginent être trop jeunes. Il y a un intérêt à choisir un gériatre comme médecin traitant car ce dernier est sensibilisé aux problème spécifiques aux personnes âgées comme par exemple la iatrogénie.

Pourquoi-vous nous expliquer ce qu’est la iatrogénie et la raison pour laquelle il faut être plus vigilant avec les personnes âgées ?

Souvent les personnes âgées voient des médecins différents qui ne se connaissent pas, et ne savent pas s’il y a d’autres ordonnances. Les personnes âgées ne sont pas forcément envoyées par leur médecin traitant. Elles vont voir le gastro, le cardio, le rhumato et chacun fait son ordonnance de 3 ou 4 produits qui ne sont pas tous compatibles entre eux. La conjonction de médicaments non compatible provoque des réactions anormales qui peuvent déboucher sur des hospitalisations pour iatrogénie. C’est la troisième cause d’hospitalisation en France chez la personne âgée, ce qui est surréaliste. Avec Anggel’dom, on a voulu centraliser les informations sur une tablette. On rentre les antécédents de la personne âgée, ses pathologies habituelles et les traitements actuels. Ce dossier médical est hébergé dans le cloud sur une plateforme accessible en permanence. Lorsque le médecin traitant est en vacances, le médecin remplaçant peut consulter tout le dossier.

J’imagine que c’est également très utile en cas d’hospitalisation ?

En effet, souvent quand les patients contactent les urgences, ils ne sont pas capables de donner leurs pathologies ou les traitements en cours. On est dans un flou artistique et quand on ne sait pas, on se couvre et on hospitalise. En consultant le dossier médical, on peut reconstituer l’historique du patient et prendre la décision d’hospitaliser ou pas. Moi je l’ai utilisé pour mon père, quand j’ai pris ma retraite j’ai fait un voyage à l’étranger et au bout de trois jours l’infirmière m’alerte à travers la tablette car son état de santé était dégradé. Je craignais de devoir rentrer mais l’infirmière m’a décrit les symptômes, j’ai envoyé une ordonnance via la tablette de prise de sang, avec le décalage horaire, j’ai eu les résultats le soir même, j’ai changé tout son traitement, j’ai renvoyé une ordonnance et il est allé mieux tout de suite. Avec un dossier médical sur le cloud, on arrive à traiter pas mal de chose à distance. Par exemple pour un début d’escarres on prend la photo, on l’envoie au médecin qui n’a pas besoin de se déplacer, il envoie une ordonnance et voilà le tour est joué. On va y arriver parce qu’il y a de moins en moins de médecins et les déplacements sont compliqués. J’avais participé à une réunion organisée par la Paris pour poursuivre les visites à domicile et la seule solution qu’ils aient trouvé c’est de nous proposer de prendre un abonnement Velib’!

Le maintien à domicile est plébiscité par neuf français sur dix mais il devient de plus en plus difficile de trouver des auxiliaires de vie, qu’en pensez-vous ?

C’est surtout à Paris que le problème se pose parce que les auxiliaires de vie viennent de loin. Si elles trouvent un meilleur job, elles démissionnent. C’est pour ça que dans notre solution, on a souvent du mal à travailler avec les SAAD ou les ADMR parce que justement ils envoient du personnel qui change tout le temps alors que pour les personnes âgées, il faut fidéliser le plus possible. Elles aiment voir tout le temps les mêmes têtes, ritualiser, toujours faire la toilette dans le même sens, etc.

Quels sont les problèmes que vous rencontrez avec les auxiliaires de vie ?

Il y a une grande différence entre Paris et la province. En province, les aidantes professionnelles avaient leur maison, elles étaient fidélisées. A Paris les filles se tapent des longs trajets pour un salaire de misère, elle vont dans des beaux appartement, dans des EHPAD ou les gens payent 6000 euros. Il y a un problème de génération, de culture. Je me rappelle une fois en EHPAD, une fille qui donnait à manger à une personne âgée debout, avec ses écouteurs sur les oreilles, l’air de dire “je fais mon boulot mais ça m’emmerde”. J’ai du la rappeler à l’ordre mais elle ne se rendait pas compte. Quand on s’occupe d’une personne âgée, il faut s’asseoir à côté d’elle, créer un lien, parler de la pluie et du beau temps. Ces gens sont très seuls, aussi bien au domicile qu’en EHPAD et ce lien est important. Toutes les personnes qui passent au domicile devraient être sensibilisées aux spécificités de la relation avec des personnes âgées fragilisées.

Vous pensez à d’autres corps de métier que les aidants professionnels ?

En effet. Je vais vous raconter une anecdote.
J’ai été sollicitée en tant qu’experte pour assister une famille dans le cadre d’un litige avec un électricien. La personne âgée avait des troubles cognitifs, elle était à domicile. Un électricien est intervenu et à midi il avait laissé son matériel par terre, il était parti déjeuner en disant qu’il revenait à deux heures, sauf que la dame n’avait pas compris, elle avait pris tous les outils pour les ranger un peu partout dans l’appartement. A son retour, l’électricien a piqué une crise, il a crié et la patiente ne comprenait pas. La famille a porté plainte et ils m’ont contacté pour que j’aille faire un cours aux électriciens sur la maladie d’Alzheimer,. Comment parler aux malades et quelle attitude avoir. J’ai trouvé que c’était une démarche très intelligente de faire ça car il y a de plus en plus de personnes âgées seules à domicile et elles auront toujours des problèmes domestiques. Les gens qui ne savent pas peuvent être très durs. Les personnes âgées aiment bien le rangement!

Dans quelle situation fait-on intervenir une aide soignante à domicile et dans quelle situation l’auxiliaire de vie suffit ?

Les aides soignantes c’est de plus en plus difficile d’en avoir à Paris. Ou bien ce sont des anciennes qui ont quitté l’hôpital et veulent travailler comme ça, mais il y en a qui travaillent toujours en binôme avec la même infirmière. C’est chaque infirmière qui essaye de s’entourer de gens qu’elles connaissent car c’est vrai qu’il y a des cas où les aides à domicile, étant livrées à elles-même font n’importe quoi et l’infirmière, c’est un peu l’oeil de Moscou. Ainsi, j’avais une patiente dont la fille habitait Londres. Sa mère était à Paris avec une dame russe qui la gardait et elle hébergeait toutes ses copines. Elles se servaient dans le frigo de la nourriture réservée à la personne âgée….

Comment faire pour éviter ces désagréments ?

C’est une question de formation. Nous on essaye de les former à notre méthode, les bonnes pratiques. La façon de donner à manger est importante pour éviter les fausses routes alimentaires. On leur explique comment donner à manger, comment parler à une personne atteinte de maladie. La plupart des auxiliaires de vie sont très peu formées, ça change tout le temps, avec le turnover les sociétés n’ont pas le temps de les reformer. A l’hôpital j’ai dû faire 200 fois la formation sur le lavage des mains et le port des gants. J’avais même fait un film humoristique parce que c’était n’importe quoi. Il y en avait une qui avait mis sept paires de gants et à chaque fois qu’elle changeait de chambre, elle en enlevait une. Elle pensait gagner du temps. Les mesures d’hygiène fondamentales ne sont pas connues. La première chose à faire est de se laver les mains. On ne peut pas s’occuper d’un patient autrement. On tape à la porte avant de rentrer, on attend qu’on dise « entrez », sauf s’ils sont sourds.

En termes de santé et de pérennité du maintien à domicile, est-ce qu’il y a une différence importante en fonction du niveau d’implication des aidants familiaux dans le processus ?

Chaque cas est particulier. C’est généralement bien d’avoir des proches aidants. Il peut y en avoir plusieurs. Il peut y avoir des conflits affectifs entre aidants familiaux, l’éternelle rivalité des frères et soeurs. Mais globalement c’est toujours plus facile. C’est soit le conjoint, soit les filles. Les autres ne s’impliquent pas trop, même si ça arrive. On ne peut pas généraliser. Parfois, ils ont tendance à penser à la place, faire à la place, dire à la place et au lieu de stimuler les personnes âgées, ça les fait descendre un peu plus mais en même temps ils sont là en permanence et ils sont crevés. C’est pour ça qu’on parle de séjours, plateformes d’accueil et baluchonnage. Ils ne veulent pas toujours lâcher parce que c’est une relation un petit peu ambiguë. « Je fais tout pour toi mais en même temps je ne veux pas lâcher prise ». C’est assez étonnant mais c’est vrai qu’ils sont crevés mais en même temps ils sont très attachés. Ils font ça bien, avec coeur dans la majeure partie des cas.

Est-ce qu’il y a des cas où le maintien à domicile dans l’état actuel du logement n’est pas réaliste  ?  

Soit les personnes âgées et les enfants sont d’accord pour faire des modifications, soit ils ne sont pas d’accord. S’ils sont d’accord on peut faire les modifications. Dans le cas contraire on prend des risques et je n’aime pas trop ça. Je fais un rapport écrit en signalant les aménagements à réaliser. Si on veut vraiment rester à son domicile jusqu’au bout, il faut anticiper tous les handicaps possibles. On a intérêt à adapter ou à choisir un appartement adaptable à tous les handicaps.

Vous pensez qu’on peut rester à domicile jusqu’à ses derniers instants ?

Si les personnes âgées et leurs proches sont dans cette optique et que c’est ce qu’ils souhaitent, on mettra tout en oeuvre pour le faire. Avec le système des directives anticipées, les gens écrivent ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas. Ils ont le droit de changer tous les trois ans. Je pense qu’il faut respecter les choix des personnes âgées. Il y a aussi le mandat de protection future qui n’est pas assez connu. On y nomme la personne de confiance qui prendra les décisions quand vous ne serez plus en mesure de les prendre. Il vaut mieux anticiper les mesures de protection juridique. Avoir son domicile à soi, c’est être libre et la sensation de liberté est importante. Chez nous français c’est important.

Nous sommes également très attaché à nos maisons.

Oui et aux objets. Chacun raconte une histoire. Je pense que c’est important de protéger ça tant qu’on peut. Les fins de vie à domicile ça se fait. Il y a des équipes de soins palliatifs. Même quand les gens sont grabataires. On met le lit qui va bien, le matelas qui va bien, on met tout ce qu’il faut qui va bien. La seule chose qu’on ne sache pas gérer à domicile et qui peut être dangereux pour la personne et l’environnement c’est les troubles du comportement. Mais tout le reste on arrive à gérer.

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